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Article du professeur Scigliani sur Jeannette Power

 

 

Extrait de « Passe-temps pour dames »

Madame Jeannette Power

 

Par Monsieur le Professeur SCIGLIANI

Palerme le 7 janvier 1837 (5ème année, n°1)

 

  

 

        Chaque siècle a vu le beau sexe se distinguer plus ou moins et, que ce soit dans les Arts ou dans les Lettres, l’Histoire nous en offre beaucoup d’exemples. Mais tout change en fonction des mentalités, des modèles de la culture propres à chaque siècle. Et pour ne pas quitter notre siècle des poètes, citons la célèbre Nina Siciliana, amoureuse de Dante di Majano, qui fut la première à versifier dans la langue vulgaire naissante.

        Citons encore Anna Arduino de Messine, Laura et Marta Bonnano et la Buongiovanni, toutes les trois de Palerme, qui se distinguèrent à une autre époque et partageaint la même culture. Parmi ces dernières, la Buongiovanni tint le premier rang avec ses ingénieux sonnets aux rimes riches signés Madame Laura, en réponse à ceux de Pétrarque.

        Comme, au 19ème siècle, la plupart des corporations scientifiques dirigent leurs travaux vers les sciences positives, ou sciences du réel, et vers diverses branches de l’Histoire Naturelle, le beau sexe a suivi cet exemple. Vint d’Angleterre une madame Fulhame qui s’est illustrée dans les sciences naturelles par des recherches sur la désoxydation des corps  et sur la magnétisation des aiguilles grâce aux rayons violets du spectre solaire. La France s’enorgueillit d’avoir amélioré les vins grâce aux soins scientifiques de madame Gervais.

        La Sicile n’a rien à envier à ces puissantes nations et à leur potentiel scientifique des Cuvier, Lamarck, Blainville et Poli. Madame Jeannette Power, bien que n’étant pas née en Sicile (1) nous appartient par libre choix.

        Madame Jeannette Power est le plus bel ornement de Messine. Avec le génie, la patience et la persévérance qui semblent les dons extraordinaires de la femme, elle a rédigé quatre rapports qu’elle a adressés à notre Académie Gioenia. Dans les trois premiers, ses recherches sont concentrées sur le développement des mollusques et plus spécialement du poulpe Argonaute Argo depuis sa naissance jusqu’à ce qu’il atteigne la taille de 9 pouces.  

        La Power cultive de nombreuses branches, spécialement la macologie et l’entomologie.  

        Elle possède des échantillons de toutes sortes d’insectes et d’animaux de notre île. Elle connait l’art de naturaliser ces derniers . Elle a trouvé et composé un liquide pour conserver inaltérés les poissons dont nos mers regorgent .

 

 

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(1) Elle est née en France, femme d’un négociant anglais, le signor Giacomo Power, homme d’une grande douceur et de manières aimables qui a eu le grand mérite d’encourager le génie de son épouse pour les sciences naturelles.

           

 

 

 

 

       Le quatrième rapport est consacré aux conclusions de recherches sur la section des organes coupés des testacés marins  des Tritons, des Fusus, des Murex, des Cerithes, des Cones, etc.

       Parmi les grands sujets de controverse, un débat s’était établi entre les naturalistes Ranzani, Lamark, Blainville, Cuvier et Poli sur le fait discuté qu’une coquille était propre au mollusque capable de reproduire la partie cassée.

      Après des observations au microscope, répétées et attentives, Madame Power n’a pas hésité à proclamer que l’Argonaute Argo nait sans coquille à laquelle il travaille par la suite ; observation qui contredit l’illustre naturaliste napolitain Poli. Ces travaux, ainsi que les lettres que l’illustre naturaliste a bien voulu m’envoyer, sont contenus dans le fascicule 12 du journal Gioenio de Catane où le Professeur Carvelo Maravigna en présente le compte-rendu. En consultant ce journal, peut-être oublié entre les mains de quelques savants mais beaucoup moins connu des dames, il m’a semblé utile de rédiger un bref résumé simplifié de ces feuilles afin, qu’au-delà de la satisfaction intellectuelle de la découverte scientifique, elle reçoive, et c’est là tout ce que nous pouvons lui offrir, nos félicitations pour son travail assidu.

        Madame Power, malgré tant d’activité scientifique, n’oublie pas les affaires de sa maison, et s’y entend si bien qu’elle pourrait servir de modèle à bien des mères de famille. Elle devrait être donnée en exemple pour couper court aux prétextes que la plupart des femmes avancent pour cacher leur indolence naturelle et les défauts de l’éducation q’elles ont reçue ou qu’elles n’ont pas su acquérir.

        Dans la plupart des cas, il faut se donner soi-même les moyens d’avoir du génie.

        Il est vrai qu’il faut classer nos siciliennes en plusieurs catégories : la Baronne Agata Barcellona, Sara Marchese de Catane, signora Anna gentille baronne Gagliano de Palerme, ainsi quelques autres dames de la capitale honorent le parnasse italien ; les sœurs Guarrera de Catane sont devenues célèbres dans l’art d’Apelle ; la jeune princesse de Paterno et la princesse Lanza font l’honneur de Palerme ; les sœurs Gargotta de Termini se sont adonnées à l’étude des coquillages sans pour autant négliger les branches des sciences naturelles ; Madame Flavia Grosso de Messine et sœur Stella d’Angelo de Trapani se sont consacrées au renouveau intellectuel du beau sexe.

        Mais l’œuvre de Madame Power va au-delà de toute louange et offre un modèle digne de notre siècle.