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JEANNE VILLEPREUX-POWER : L'ÉTONNANTE

 

Mille choses peuvent fasciner dans la vie toujours surprenante de Jeanne Villepreux-Power, mais la plus importante peut-être est qu'elle ressemble à une incroyable histoire et que notre imagination s'y laisse prendre comme à un conte de fée, pourtant bien réel.

Elle nait en 1794 et meurt en 1871 à Juillac en Corrèze. Rien de plus simple! Mais entre ces deux dates une vie d'une rare richesse qu'elle a accueillie et construite, tant elle a su modifier son destin en acceptant et transformant les hasards de l'existence. Fille de cordonnier, elle monte, comme on dit, à Paris, à pied, pour y travailler, comme beaucoup de jeunes femmes de la campagne. Agressée pendant le voyage, elle doit interrompre sa route et reste quelque temps à Orléans en attendant le visa de voyage nécessaire à l’époque. Là, probablement, elle apprendra à broder. Première rupture du destin.

Parvenue enfin à Paris, elle trouve une place dans une maison de broderie où ses qualités la font devenir une des meilleures employées. C'est aussi pendant ce temps qu'elle perfectionne son écriture et sa langue au contact de toutes ces jeunes ouvrières de la mode que leurs métiers fait fréquenter "l'autre" monde. Mais, seconde rupture du destin, elle ne restera pas une midinette : elle brode merveilleusement la robe de mariée d'une princesse italienne qui épouse le duc de Berry. La robe est exposée et - conte de fée- un jeune lord irlandais, James Power, probablement venu à Paris dans l'entourage de la princesse (il travaille à Messine) admire la robe, voit la brodeuse et en devient amoureux au point de l'épouser deux ans plus tard à Messine.

Troisième rupture de destin : elle aurait pu devenir "seulement" Mme Power, belle et cultivée, femme de commerçant aisé, fréquentant la bonne société de Sicile. Non! Elle apprend plusieurs langues étrangères, exerce sa curiosité immense et sa grande intelligence et devient une très grande naturaliste et une artiste. Rien dans son histoire ne pouvait laisser deviner qu'elle deviendrait une scientifique reconnue, reçue dans 16 Académies des Sciences en Europe, admirée pour ses travaux dont l'originalité s'inscrit dans les recherches qui foisonnent au début du 19ème siècle : Pour observer les animaux marins vivants (poissons et coquillages) dans leurs comportements - curiosité encore très inhabituelle alors, elle invente les aquariums et ouvre ainsi la voie à des recherches qui vont se développer ensuite dans les stations maritimes. Elle écrit en outre un Guide de la Sicile, si complet et pertinent qu’on peut encore l’utiliser de nos jours.

Mais le destin a aussi ses revers : rentrant à Londres avec son mari, elle va perdre dans le naufrage du bateau qui les transportait toutes ses collections naturalistes et beaucoup de ses travaux, tout le fruit de ses recherches. Toujours active et curieuse, elle ne continuera cependant plus de recherche de terrain, et publiera tard ses Observations et expériences physiques sur plusieurs animaux marins et terrestres, Paris, chez Mourgues, en1860. Personnage de la bonne société, elle vivra à Londres et à Paris et ne reviendra dans son village natal qu'à la toute fin de sa vie, au moment de la guerre de 1870...

Peu à peu son nom sera oublié, malgré la reconnaissance et les efforts de quelques scientifiques, jusqu'à ce que d'autres passionnés la redécouvrent il y a quelques années et se donnent pour tâche de réhabiliter la mémoire de cette femme exceptionnelle.

Étonnante, merveilleuse, improbable Jeanne VILLEPREUX-POWER.

J.P. Gademer  -  Avril 2017