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Sa vie plus en détail

Jeannette Villepreux Power à Messine:

l’Argonauta argo et l’invention de l’aquarium (1832).

L'Aquarium est né à Messine.

Au début du XIXème siècle, toute capacité cérébrale de haut niveau était déniée à la femme. Son éducation était soigneusement organisée pour la tenir en dehors de la Science. C'est par le plus grand des hasards que nous avons trouvé à Messine une preuve éclatante de l'absurdité de ce comportement qui a eu surtout comme résultat de faire perdre beaucoup de temps à l'avancée de la connaissance .

C'est à Messine en effet qu'un cerveau hors du commun, mais indéniablement féminin, a apporté à la Science ce qui est devenu l'aquariophilie et la biologie marine. Disons, pour convaincre les incrédules éventuels, que l'illustre professeur anglais Richard Owen , qui a été une lumière indéniable de la Science du XIXème Siècle , en a témoigné en 1858 quand il a rédigé son important ouvrage Mollusca (London , 1858): «But to Madame Jeannette Power (née de Villepreux), according to the testimony of professor Carmelo Maravigna in the Giornale Letterario dell’Accademia Gioenia di Catania (December 1834), ought to be attributed, if to any one individual, the invention and systematic application of the receptacles now called Aquaria to the study of marine, and principally of molluscous animals».

Ainsi, c’est à une femme qu’est due l’invention de l’aquarium dès 1832, vingt ans plus tôt qu’il n’était admis auparavant par les historiens de l'aquariophilie. C’était en même temps la naissance de la biologie marine qui a pris aujourd’hui l’importance que l’on sait.

Une femme oubliée

Que savons-nous de cette femme oubliée pendant plus de cent vingt ans et aujourd'hui ressuscitée? A défaut de détails sur sa vie privée, car elle est restée très discrète à ce sujet, nous avons une assez bonne documentation sur son œuvre et les grandes étapes de sa vie . Jeanne Villepreux était française. Elle est née à Juillac, un chef-lieu de canton du département de la Corrèze dans le Sud-Ouest de la France, le 4 Vendémiaire de l'An 3 du calendrier révolutionnaire que nous traduirons par 25 Septembre 1794 pour la commodité des calculs. Elle était la première née des quatre enfants de Pierre Villepreux successivement: gendarme, cantonnier, garde champêtre, cordonnier, pour finir rentier. En d'autres temps, la famille Villepreux avait connu des jours plus brillants et même porté la particule.

La légende veut que la jeune fille ait été bergère, ce qui est difficile à croire car la famille avait certains biens et n'était pas du tout dans le besoin. A la campagne, tous les enfants gardaient un jour ou l'autre les troupeaux .

Nous avons la preuve que Jeanne savait au moins lire et écrire, contrairement à sa sœur et à son frère survivants qui , adultes , seront déclarés illettrés dans divers documents.

Dès 1804, le drame entre dans la famille quand meurt la petite Gabrielle, le numéro trois des enfants du premier lit - car il y en aura un second . Là, grave erreur aux conséquences multiples, le père Villepreux se trompe de prénom en déclarant le décès de son enfant. Pour lui, Jeanne était Lili et seulement Lili , la petite morte ayant elle aussi son surnom que nous ignorons . L'erreur n'a jamais été rectifiée. Nous trouverons donc plus tard Jeanne rebaptisée Jeannette. Il faut en retenir que Jeanne et Jeannette sont la même personne.

Puis c'est la mère qui meurt en 1805, un an plus tard alors que Jeanne n'a que onze ans.

Est-ce à cause de l'arrivée d'une très jeune belle mère que notre future naturaliste a quitté Juillac, ou est-ce à cause d'une idylle amoureuse mal terminée la promise n'ayant pas le niveau social désiré ? Cela s'est dit … Quand elle part à pied pour la Capitale, en 1812 , Jeanne a atteint sa 18ème  année . Encore mineure, elle ne peut pas voyager seule. C'est à un cousin convoyeur  de troupeaux vers les abattoirs parisiens qu'elle est confiée pour le long voyage pédestre de plus ou moins seize jours . Il y a environ 480 kilomètres de Juillac à Paris . On savait marcher à cette époque !

Malheureusement les choses se passent très mal. A Orléans, 120 km avant l'arrivée à Paris, le tuteur agresse sa pupille qui doit se réfugier à la gendarmerie. Elle restera sur place– dans un couvent paraît-il – le temps de recevoir de Juillac de nouveaux papiers en règle pour terminer le voyage. En 1812 la Poste n'était pas rapide !

Quand elle arrive enfin à Paris, Jeanne n'est plus attendue. Sa place a été prise et la voila sans travail . Fort heureusement pour elle, le hasard est parfois miséricordieux. Une grande couturière de l'époque lui fait confiance et l'engage . Midinette , puis ouvrière , elle se révèlera d'une telle habileté que , en 1816, lorsque la princesse Maria Carolina di Borbone venue de Sicile épousera à Paris le Duc de Berry, neveu du Roi , la confection de la robe de la mariée lui sera confiée en grande part. C'est à l'occasion de ce mariage princier qu'un jeune Anglais de passage à Paris , James Power , rencontre la demoiselle . Jeune , riche et noble (comte?) il vient de la Dominique , une petite île des Antilles et n'a que trois ans de plus que  Jeanne . Comme bon nombre de ses concitoyens il est venu en Sicile pratiquer le négoce que les Français ont dû abandonner . Le Blocus napoléonien n'avait pas du tout été apprécié dans la région .  

C'est en mars 1818 que les amoureux se marient à Messine . La boucherie de Waterloo ne datait que de trois ans, mais le grand amour ne fait-il  pas pardonner bien des choses?

Jeanne est riche maintenant. En profitera-t-elle pour se laisser vivre et choyer ? Pas du tout. C'est alors qu'apparaît la femme de Science .

Sitôt mariée la jeune femme se jette dans les études . D'une curiosité insatiable elle se passionne pour tout ce qui concerne les Sciences dites naturelles. A pied, elle parcourra pendant plus de vingt ans la Sicile dans tous les sens s'efforçant d'en découvrir les richesses, l'environnement et la culture. Il sortira de ces nombreuses expéditions un Itinerario della Sicilia riguardante tutt’i rami di storia naturale e parecchi di antichità che essa contiene (Messina, 1839) et un très érudit Guida per la Sicilia (Napoli, 1842), dont nous devons une réédition en 1995 à la professeure Michela d'Angelo.

S'il est impossible de mentionner ici tout ce qu'à accompli Jeanne, il serait maladroit de ne pas évoquer, même succinctement, l'affaire qui l'a rendue célèbre dans les milieux naturalistes européens de l'époque.

La "bataille de l’Argonauta".

La vedette de cette "bataille" est l'Argonaute argo qui était abondant à l'époque dans les eaux messinoises. Ce mollusque mythique n'est autre que le Nautilus de l'Antiquité rebaptisé Argonaute par le Suédois Linné. Au  sujet de ce petit poulpe deux opinions s'affrontaient depuis des siècles car une des caractéristiques de ce mollusque étrange était la cause depuis l'Antiquité d'un sévère affrontement où l'on retrouve en tête des deux camps  les grands maîtres naturalistes de l'époque qu'ont été Ducrotay de Blainville en France et Richard Owen en Angleterre. Le monde naturaliste était divisé en trois, au milieu étant les prudents qui ne se prononçaient pas .

La cause du litige était la suivante: L'Argonaute est-il un squatter de sa coquille à l'exemple du Bernard-l'ermite bien connu ou la construit-il lui-même? Etrange! Contrairement aux autres crustacés il n'y a nulle adhérence entre l'occupant et la coquille où on le trouve immanquablement ... On ne connaissait rien de semblable à l'époque. Il y a bien deux des huit tentacules largement palmés du petit poulpe qui enserrent en permanence la dite coquille comme pour la retenir mais comment supposer que c'est par ce simple contact physique que la délicate coquille est secrétée. En réalité ce n'est pas une cuirasse comme les autres coquilles mais un pondoir. Le poulpe y tient ses œufs à l'abri puis ses petits les premiers temps.

Jeanne habitant Messine où les Argonautes pullulaient à son époque pensa qu'elle était au bon endroit pour résoudre le problème par l'expérimentation. Elle se mit au travail. Expérimenter en milieu marin était alors une chose nouvelle, les naturalistes de l'époque se contentant jusque là d'examiner des spécimens que l'on apportait à leurs "cabinets", loin de la mer.

Les "cages à la Power".

Il fallait innover et c'est ce que Jeanne invente et fait en créant, dès 1832, les "cages à la Power". Le mot "aquarium" n'est apparu que plus tard . Des grandes cages, construites expressément, étaient immergées dans la mer près du Lazzaretto de Messine. Jeanne y plaçait les pensionnaires qu'elle voulait étudier et il y en eu beaucoup de toutes sortes. D'autres, pensionnaires étaient étudiés à terre dans des réceptacles en verre qui deviendront en Angleterre les fameux aquariums populaires appréciés aujourd'hui dans le monde entier .

Assurer pendant plus de dix ans la nourriture de tout ce petit monde vorace a dû être une corvée des plus contraignantes !

L'Argonaute est difficile à observer. Il supporte très mal la captivité et sort de sa coquille pour mourir. Jeanne , d'après ses écrits , en aurait étudié des centaines avec des résultats divers qu'elle communiquait à l' Académie voisine de Catane (l'Accademia Gioenia) et au naturaliste anglais Richard Owen qui s'était intéressé tôt à l'Argonauta. En plus de la coquille, un autre mystère intriguait les savants. Si l'on trouvait immanquablement des œufs au fond de la coquille, ne fallait-il pas en déduire que tous les Argonautes sont femelles ou bisexués comme l'escargot . C'était un mystère de plus . Jeanne pressentira qu'il doit y avoir quelque part un mâle non encore identifié. C'est bien le cas en effet mais ce mâle minuscule est tellement dissemblable qu'il avait été pris pour un parasite de l'Argonauta . Jusqu'à l'intervention de Jeanne , le petit poulpe et sa coquille portaient deux noms différents .

Notre naturaliste "amateur" tranchera définitivement la question en montrant que l'animal est capable de reconstituer ou de réparer sa coquille si on la brise. Il fallait y penser et Jeanne y a pensé … Blainville, partisan de l'Argonaute squatter a fini par s'incliner mais il y a mis le temps. Ce fut une belle bataille!

L'admiration est unanime et, en 1839, Jeanne sera admise comme membre correspondant de la célèbre Zoological Society de Londres, comme de 18 autres académies. C'était un très rare honneur pour une femme.

Où sont les magnifiques collections de Jeanne? Au fond de la mer. Le brigantin Bramely qui les emportait à Londres en 1838 n'est jamais arrivé à destination . C'est une catastrophe. Son cabinet d'Histoire Naturelle était estimé être un des plus beaux d'Europe.

En 1842, le couple Power quitte la Sicile et va s'installer à Paris. Pourquoi? Nous ne le savons pas. Des mauvaises affaires peut-être! James Power y créera une affaire d'électrolyse avant de devenir, dès 1851, le représentant en France de la "Société du Câble Télégraphique Sous-marin entre la France et l'Angleterre", le premier câble sous la mer. Il restera à ce poste jusqu'à son décès en janvier 1872. Entre-temps, Jeanne qui s'était réfugiée à Juillac en 1871 pour échapper au terrible Siège de Paris y est décédée. Elle avait 77 ans. James et Jeanne n'ont pas eu d'enfants. Il ne reste à Juillac aucune trace des époux Power.

Considérant le mérite exceptionnel de Jeanne – une des premières femmes de l'Histoire de la Science – l'Union Astronomique Internationale au cours de son Assemblée Générale triennale de 1997 à Kyoto, a donné le nom "Villepreux-Power" au grand cratère patéra vénusien de coordonnées 22°S/210°E.

Claude Arnal

 Sa vie plus en détail page 6