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 Observations sur les martres

 

 Extrait de "Observations et Expériences Physiques sur la Bulla Lignaria , l’Astérias , ..."

 Typographie Charles de Mourges Frères (1860)

  

(dédiées à l’illustre Professeur OWEN F. R. S.)

 sur la Bulla Lignaria ,

 l’Astérias ,

 l’octopode vulgaris et la Pinna nobilis ,

 La reproduction des Testacés univalves marins ,

 Moeurs du Crustacé Powerii ,

  Moeurs de la Martre commune ,

 Faits curieux d’une tortue ,

 L’Argonauta argo ,

 Plan d’étude pour les animaux marins ,

 Faits curieux d’une chenille .

 

 

  

Observations sur les moeurs de la martre commune

 

         Tout le monde sait que la martre est très sauvage et qu'elle habite les forêts . Aussi astucieuse que le renard , elle rode comme lui autour des maisons et des fermes isolées et s'y introduit pour y butiner . Ses visites , qui ne sont pas désintéressées , font la désolation des fermiers , car le passage de la martre est toujours signalé par des ravages dans le colombier . Elle déjoue presque toujours les pièges qu'on lui tend et toutes les précautions que l'on emploie pour mettre la basse-cour hors de ses atteintes . Elle ne trouve également que peu de sympathie parmi les chasseurs qui voient en elle un concurrent redoutable .

         Elle se nourrit généralement de petits oiseaux et de petits quadrupèdes , faisant une destruction prodigieuse de jeunes perdreaux , de levrauts , de lapereaux , et d'autre menu gibier . Elle mange des fruits secs , amandes , noix , noisettes , figues et raisins .

         Désirant étudier les moeurs de ces petits animaux et connaître la portée de l'instinct dont ils peuvent être doués , je parvins à me procurer un couple , mâle et femelle , qui furent pris à l'âge d'environ trois ou quatre mois dans les forêts du Mont Etna. Je ne fus pas longtemps à m'apercevoir , d'après l'étude à laquelle je me livrai de suite  des moeurs et habitudes de la martre , qu'elle peut être considérée comme un sujet fort intéressant sous le rapport de la finesse se son instinct ; on dirait qu'elle a conscience de ce qu'elle fait .

         Pour les apprivoiser , je commençai par leur donner moi-même leur nourriture , trois fois par jour , régulièrement . Elle consistait en viande de boeuf . Dans les premiers jours , elles furent passablement sauvages  mais , avec de la persévérance et de bons soins ,  je parvins à vaincre leur sauvagerie . Elles me prirent en grande amitié , commencèrent à monter sur mes genoux , me léchèrent les mains ; elles me suivaient partout dans la maison ; enfin elles étaient presque toujours près de moi .

         Quand je sortais, je les enfermais dans une petite chambre ; à mon retour elles venaient à moi l'air chagrin , m'écoutaient et me faisaient comprendre l'ennui qu'elles avaient éprouvé pendant mon absence . Je les prenais sur mes genoux et les embrassais ; mes caresses leur rendaient la bonne humeur . Elles sautaient alors sur  les chaises , les tables , et sur tout ce qui se trouvait à leur portée .

         Afin de tenter un peu leur instinct naturel et forestier , je fis transporter un arbre dans mon antichambre ; à peine y fut-il placé que mes martres grimpèrent dessus  mais , lorsqu'elles virent que je rentrais dans mon appartement , elles descendirent de l'arbre pour me suivre . Les martres dormaient sur leur arbre et presque toujours la tête penchée . Si je les enfermais dans mon antichambre , elles rongeaient la porte et criaient de toute la force de leurs petits poumons ; force m'était alors de céder et de leur ouvrir la porte .

         Pendant ma toilette du soir , et au moment où l'on me déshabillait , les martres se faufilaient doucement entre les matelas de mon lit afin de ne pas me quitter et de passer la nuit avec moi , ce qui ne me convenait nullement .

         Peu de temps après l'arrivée de mes martres , les souris que nous avions dans la maison disparurent  ; cependant je n'ai jamais observé qu'elles en aient pris . Je fis même l'essai de leur donner , à un de leurs repas , de la chair d'un gros rat ; mais elles le flairèrent en faisant la grimace , n'y touchèrent pas et s'en éloignèrent avec un air de dégoût et de répugnance .

         La martre a l'ouïe et l'odorat très fins . Les miennes flairaient toujours la viande avant d'y toucher , absolument comme font les chats . Si la viande n'était pas fraîche , elles ne la mangeaient pas , venaient à moi d'un air inquiet , cherchaient à me faire comprendre , par leurs petits gestes , qu'elles avaient faim . Lorsque mon domestique venait prendre le cabas dans lequel il avait l'habitude de placer la viande  que je l'envoyais acheter pour les martres , elles sautaient alors sur l'appui de la croisée et de là épiaient son retour ; quand elles le voyaient revenir , elles couraient au devant de lui en faisant des sauts  de joie et poussant leur petit cri : hi , hi , hi .

         Un jour le domestique voulant voir ce que feraient les martres s'il arrivait les mains vides , laissa le panier sur l'escalier et entra dans l'antichambre. Elles furent bientôt convaincues par la finesse de leur odorat qu'il n'avait pas apporté de viande . Alors se passa une scène très intéressante ; d'abord elles se fâchèrent contre le domestique , elles lui firent la grimace en lui montrant leurs dents ; puis elles vinrent à moi en ouvrant leurs petites gueules et cherchèrent à me faire comprendre qu'on ne leur avait pas encore donné leur repas . Elles montèrent sur mes genoux , me firent mille caresses , mille singeries et déployèrent dans ce moment critique toute la finesse que leur inspira l'instinct dont elles sont douées . Je dus donc céder à leurs vives instances et je leur fis donner la viande tant désirée

         Voulant connaître la manière dont les martres se servent pour attaquer les écureuils et la défense de ceux-ci , je me procurai un écureuil vivant , je le fis mettre sur l'arbre . Aussitôt que les martres l'eurent aperçu elles se précipitèrent sur lui  qui , malgré son agilité , ne put longtemps se soustraire à la cruauté de ses deux ennemis . La bataille fut courte , il fut attrapé , tué , bientôt  déchiré‚ en morceaux et dévoré . Elles n'en laissèrent que la peau , la tête , et les intestins .

         J'ai remarqué que , quoique très friandes de la chair du jeune gibier , elles donnaient toujours la préférence à la viande de boeuf , mais elles ne mangeaient jamais le gras .

         Une autre remarque fort curieuse et fort intéressante au point de vue de l'instinct de ces animaux réputés sauvages et que l'on parvient à apprivoiser dans les maisons particulières , c'est que quand mes petites martres voyaient entrer chez moi des personnes mal vêtues , bien que ces petites bêtes eussent l'habitude de les voir venir souvent chez moi , tant pour les besoins du service que pour tout autre chose journalière , telles que le porteur d'eau , un commissionnaire ou toute autre , elles leur faisaient la grimace en leur montrant les dents , leur poil se hérissait jusqu'au bout de la queue . L'on m'appelait de suite et j'étais obligée de les menacer d'une badine que je tenais à la main quand j'étais fâchée contre elles,  pour les empêcher de sauter  au visage de ces bonnes gens . Il n'en était pas de même des personnes de ma société  dont le costume différait de cette classe de gens qu'elles ne pouvaient pas souffrir ; elles allaient au devant d'elles en leur témoignant par des caresses , des hi, hi, hi , et des sauts , toute la joie qu'elles éprouvaient  de les revoir . Je ne pouvais mieux comparer ces démonstrations amicales qu'à celles du chien pour ceux qu'il connaît être amis de la maison .

         Elles allaient souvent dans la cuisine . Un jour elles enlevèrent un filet de boeuf . Après en avoir mangé un morceau , elles cachèrent le reste sous mon lit . On me fit part de ce larcin , je crus devoir observer mes martres . Je ne tardai pas à m'apercevoir qu'elles allaient souvent sous mon lit . J'ordonnai une visite de ce côté , mais elles s'aperçurent bientôt qu'on allait leur enlever le larcin  qu'elles y avaient déposé et commencèrent à donner des marques de mécontentement et d'irritation contre le domestique . Je dus intervenir de toute mon autorité et armée de la baguette  pour les empêcher de mordre celui auquel je venais de donner l'ordre d'emporter leur proie ; c'est-à-dire ce qui restait du filet de boeuf .

         Quant à leur propreté, je ne fus pas longue à leur indiquer les moyens de la pratiquer et pour cela je les avais souvent conduites dans la cuisine . Si , par hasard , cette pièce se trouvait fermée , elles se faisaient ouvrir par des signes et elles se rendaient d'elles-mêmes dans un coin où j'avais d'abord fait mettre du sable qu'on renouvelait chaque jour .

         Il est d'usage , en Sicile , de prendre l'air sur les balcons des maisons ; comme tous les habitants de Messine se connaissaient , cela est admis sans déroger aux bons usages ; lorsque cela m'arrivait , mes martres me suivaient et montaient sur la rampe du balcon ou sur mes épaules pour regarder dans la rue . Lorsqu'elles apercevaient des personnes de mes amies , elles avaient un mouvement , une petite manière de les reconnaître . Mais si un chien venait à passer , elles prenaient alors une pose menaçante , leur poil se hérissait , elles leur montraient les dents en leur faisant des grimaces et poussaient de petits grognements .

         Bien des fois j'ai vu des passants s'arrêter pour les regarder; beaucoup d'entre eux retenaient leurs chiens pour prolonger une scène qui était vraiment de part et d'autre très amusante . De temps en temps, elles donnaient aussi la chasse aux chats ; il n'y en avait pas un qui osât s'approcher de ma maison .

         Un fait encore plus extraordinaire est celui-ci . Souvent les martres restaient seules sur le balcon , mais si elles voyaient une amie entrer dans notre rue , elles couraient sur une fenêtre qui donnait au-dessus de notre porte cochère , guettaient et attendaient son entrée ; alors elles accouraient m'avertir par leurs démonstrations habituelles  puis elles se rendaient dans l'antichambre  et , si le domestique ne s'y trouvait pas , elles couraient pour le chercher , absolument comme l'eût pu faire un chien intelligent .

         Si par hasard en faisant leurs sauts il leur arrivait de casser un verre ou une tasse elles paraissaient avoir conscience de leur faute car elles se sauvaient pour se cacher , craignant d'être corrigées .

         Ma femme de chambre ayant laissé sur une chaise un peloton de fil à tricoter, une des martres prit le bout de fil , monta sur l'arbre et en moins de deux heures elle parvint à fabriquer au sommet de l'arbre une espèce de filet très artistiquement entrelacé de manière à ne laisser que de très petites distances entre les fils . Je ne pouvais m'imaginer pourquoi elle avait fait ce joli travail . Enfin je compris et je fis appeler des petits gamins . Je leur promis une récompense s'ils avaient l'habileté de m'attraper des oiseaux vivants . Je leur donnai mes filets  , une cage et du blé. Au bout de huit heures ils m'en apportèrent onze .

         Le lendemain matin j'ouvris la cage au-dessous du filet , plusieurs volèrent dans l'arbre , d'autres sur les fenêtres , les portes. Les martres en voyant les oiseaux se mirent à grimper sur l'arbre , sur les fenêtres , les portes , tuant tous ceux qu'elles pouvaient attraper. La chasse fut longue , très amusante , non pour les pauvres oiseaux mais pour moi et pour deux de mes amies qui étaient présentes . Lorsque les oiseaux furent tous tués , les martres en dévorèrent plusieurs , ne laissant que les plumes , le bec , les pattes , et les intestins  ; ensuite  par un geste de prévoyance elles allèrent cacher les autres oiseaux sous un meuble , allant de temps en temps s'assurer s'ils y étaient encore . Lorsqu'elles eurent faim , elles allèrent les prendre pour les manger.

         Me voyant occupée à écrire , elles montaient sur mes épaules et guettaient le moment favorable pour enlever soit un livre soit des papiers qu'elles emportaient sur leur arbre avec une incroyable vélocité ; ou elles allaient les cacher sous un meuble .

         Un jour , mon domestique entrant dans la cuisine pour nettoyer l'argenterie , ne la trouve plus ; puis il s'aperçoit que beaucoup d'ustensiles de cuisine et tous les torchons manquaient ainsi que du linge qui était au savonnage . Il vint à moi , pâle , effrayé, pour m'annoncer que j'étais volée . Je me rendis à la cuisine , je trouvais étrange que les martres ne m'eussent pas suivie  . Je les appelai ; elles vinrent avec un air timide , tremblaient  et se tenaient éloignées de moi  . J'observais qu'elles regardaient du côté d'un enfoncement qui se trouvait au-dessous d'un escalier. Je pris le jonc avec lequel je les corrigeais , je le leur fis voir en les grondant d'un air sévère et en leur faisant comprendre qu'elles avaient commis un méfait . Elles s'enfuirent dans un coin et prirent une pose suppliante . En les voyant ainsi je ne pus m'empêcher de rire . Je dis au domestique , qui ne comprenait rien à cette scène , de chercher sous l'escalier . A sa grande surprise , les objets furent trouvés et , chose surprenante , pas un ne fut cassé ni déchiré . Pendant que nous étions occupés à reconnaître les différents objets retrouvés , les martres avaient pris la fuite pour s'aller cacher dans la ruelle entre les matelas de mon lit ; elles y restèrent blotties pendant plus de deux heures , mais la faim les détermina à se faire voir . Elles passèrent le long du mur de la chambre où je me trouvais ; elles avaient un air craintif et ne s'approchèrent pas de moi . Je fis semblant de ne pas les voir . Après leur repas, elles se cachèrent de nouveau . Je les appelai , elles vinrent à moi d'un air piteux .Je les grondais en leur montrant le jonc . Elles commencèrent leur petit cri hi ,hi ,hi , et vinrent suppliantes me lécher les mains et furent sages pendant quelque temps .

         Si quelqu'un faisait le signe de vouloir me battre , mes martres se mettaient en colère . Si je ne les avais retenues avec menace , elles auraient mordu le téméraire . Un soir , étant très occupée à écrire , je fis fermer ma porte . Un de mes amis , Mr Pinkerton , se présenta . On lui dit que je ne recevais pas . En s'en allant, il rencontra un de ses amis qui venait aussi me voir . Il lui dit que je ne voulais pas recevoir . En passant dans la rue une idée folle leur vint en tête. Ils rencontrèrent un des allumeurs des lanternes de Messine. Lui prendre son échelle, monter sur le balcon , entrer dans le salon , fut bientôt fait . Les martres qui étaient assises , allèrent au-devant d'eux avec la cérémonie habituelle , puis vinrent dans mon cabinet pour m'annoncer que j'avais des visites. Ne comprenant rien à ce qu'elles voulaient  et voyant ces deux Messieurs , je compris tout . Comme j'allais gronder ces Messieurs , je vis mes martres en colère  . Je cours au salon et j'arrive à temps pour  les empêcher de mordre un imprudent qui avait suivi l'exemple de ses amis . Les martres n'avaient jamais vu le Monsieur qui était absent de Messine depuis que j'avais eu ces animaux et , certes , il ne s'attendait pas à pareil accueil . Deux de mes intimes amies se présentèrent . Le domestique sachant que j'avais des personnes dans mon salon les fit entrer . Les martres allèrent au-devant d'elles en faisant mille caresses . L'étranger s'avança pour leur donner la main . Les martres ne le permirent pas et la scène était prête à recommencer . Alors, je pris le jonc et elles se retirèrent dans un coin du salon ayant toujours les yeux fixés sur leur ennemi . Comme c'était l'heure du repas , je fis apporter de la viande sur une assiette , je la donnai à ce Monsieur en déposant la martre sur ses genoux , elle prit la viande en grognant . L'autre martre sauta près de sa compagne ; après le repas, la paix fut faite .

         Quinze jours après cet incident , j'entendais du bruit , je courus à mon balcon . Il y avait dans la rue du monde rassemblé . Ma voisine racontait qu'elle venait d'être volée . Etant trop éloignée pour comprendre ce qu'elle disait , je passai dans ma chambre à coucher dont le balcon était contigu à celui de ma voisine . Je restai saisie en y voyant des objets qui ne m'appartenaient pas . Il y avait un bonnet , de la chaussure , deux tasses , un verre , une montre , des plantes , des fleurs qui avaient été arrachées  de leur caisse , et d'autres objets . Je priai cette Dame de passer chez moi en l'assurant que je lui donnerais des renseignements sur les voleurs .

         On se figure aisément la joie qu'éprouva cette Dame en voyant ses effets . Je lui racontai l'histoire de mes martres  , le goût qu'elles avaient pour le vol . Elle en rit  beaucoup . J'appelai mes martres , elles ne vinrent pas . Je les cherchai . Je fis enlever le matelas de mon lit ; elles n'y étaient pas . Je les trouvai cachées dans le haut des rideaux ; elles s'enfuirent . Je les appelai .  Elles vinrent  et reçurent une bonne correction . Ce qu'il y a d'étrange , c'est qu'elles n'ont jamais rien touché , ni dans mon salon , ni dans ma chambre à coucher.       

         Mes martres me craignaient , mais elles m'étaient  très attachées . Il est bon de remarquer qu'elles n'ont jamais cherché à me mordre lorsque je leur donnais une correction . Un jour , je pleurais la perte d'une amie . Elles montèrent sur moi , me firent des caresses , prirent un air triste et semblaient compatir au chagrin que j'éprouvais .

         Les deux martres vivaient en parfaite accord , ce que l'une faisait , l'autre l'imitait . Elles étaient toujours ensemble pour commettre leurs méfaits . Quelquefois , cependant , le mâle donnait des corrections à sa compagne , mais cela arrivait très rarement .

         Etant obligée de quitter la Sicile pour me rendre à Londres et comptant revenir à Messine , je confiai mes martres à la Duchesse de Belviso . Son mari, le Chevalier Benoit , qui s'occupait d'histoire naturelle se chargea de les faire soigner .

       La martre femelle qui était près de mettre bas mourut, soit de chagrin de ne plus me voir, soit de toute autre cause ; le mâle prit la clef des champs . Cela me surprit car pendant quinze mois qu'elles sont restées près de moi elles jouissaient de toute liberté et ne cherchèrent jamais à s'échapper . Elles glissèrent quelquefois le long du mur dans la rue , alors elles allaient près de la porte cochère et , lorsque l'on ouvrait, elles rentraient dans la maison .