Une Corrézienne sur la planète Vénus

Extrait de      " BULLETINS DE LA SOCIÉTÉ

DES LETTRES, SCIENCES ET ARTS

DE LA CORRÈZE "

 

 

 

Une Corrézienne sur la planète Vénus

            

Au début de l'année 1991, un communiqué du "Jet Propulsion Laboratory" de Pasadena, largement repris par l'ensemble de la presse française, invitait chacun de nous à lui proposer des noms de femmes, hors du commun et dignes d'être honorées, pour baptiser les milliers de sites vénusiens découverts sous les épais nuages de la mystérieuse planète par les échos radar de la sonde Magellan.

          Il fallait, bien sûr, que la proposition soit accompagnée d'un dossier justifiant la candidature de la dame au prestigieux baptême.

          Etaient prohibés les noms évoquant un passé politique ou militaire, ainsi que les noms de philosophes modernes. On ne voulait pas non plus des personnages appartenant aux six principales religions actuelles. Comme ce genre de personnage est déjà dans un Ciel ou dans l'autre, autant l'y laisser!

          Pouvaient être également avancés, à la rigueur, les noms de politiciennes antérieures au XIXème siècle.

          Pour finir, une exception était prévue pour les astronautes ou cosmonautes vivantes en raison de leur dangereuse contribution aux missions spatiales. Malheureusement, il n'y en a pas encore des milliers; et les nombreuses autres dames qui sont en rapport plus ou moins direct avec Vénus ne méritent généralement pas d'être honorées de la sorte.

          Pour les non-astronautes ou non-cosmonautes, le décès devait dater d'au moins trois ans.

          Il ne faut pas être surpris par cette consécration d'une planète entière à un sexe qui a été bien mal traité et bien mal jugé pendant si longtemps par tout ce qui était mâle, et surtout par la gent scientifique pontifiante. Puisque dans l'espace il est de coutume d'attribuer autant que possible les nouvelles appellations en fonction d'un thème central, cette exclusivité patronymique s'imposait en raison du nom même de la planète. Chacun sait en effet, dans les deux tiers du Monde, (car il y en a un Troisième), que Vénus est le nom de la déesse qui symbolise par excellence la féminité dans les pays de civilisation occidentale. Il ne faut pas oublier également les féministes (et les femmes ministres) qui exigent avec de plus en plus de force qu'on se rappelle ce qui a été fait par certaines de leurs consœurs au cours des âges, malgré l'ostracisme dont elles ont été si longtemps l'objet.

            Il peut être amusant d'ajouter qu'un seul homme figurera dans ce gigantesque harem. Il s'agit de Maxwell James Clerk, qui a été, dès 1873, le premier savant à unifier les théories de l'électricité et du magnétisme, devenant ainsi un des pères du radar, radar sans lequel Vénus aurait encore gardé longtemps ses secrets. Le nom Maxwell était déjà attribué à un relief vénusien quand la décision a été prise de féminiser l'Etoile du Berger dans sa totalité.

          En 1991, le message du Jet Propulsion Laboratory tombait juste à point, et comme s'il était fait expressément, pour la "Dame des Argonautes", la naturaliste juillacoise oubliée si longtemps, dont ce Bulletin vous abreuve depuis quatre ans (1). Battant de plus de vingt ans le record de la Belle au Bois Dormant, elle venait juste d'être réveillée par un prince charmant en fin de carrière et de retour au pays.

          Aussitôt lu le message, aussitôt envoyé le dossier à Pasadena (Californie) où la Nasa a quelques dépendances. Puis... plus rien.         

          En insistant lourdement, et en expédiant des compléments d'informations au fur et à mesure de leur découverte, les choses se sont petit à petit précisées:

          Il existe une association qui réunit tous les astronomes de la Terre, "l'Union Astronomique Internationale (UAI)" qui devient, malheureusement pour nous, de plus en plus exclusivement " l'International Astronomical Union (IAU)". C'est cette Association qui s'est arrogée le droit de choisir et de fixer les noms de baptême de tout ce qui est découvert dans l'espace, tant par les folkloriques gigantesques lunettes des observatoires terrestres que par les satellites et les capteurs de radiations diverses. Tout ce qui est découvert est enregistré avec soin et le travail de nomenclature en est confié à des commissions spécialisées: des "works groups", ou groupes de travail. Il est assigné à chacun de ces groupes un chapitre particulier d'un très volumineux dossier en attente, car, si les planètes solaires sont en nombre réduit pour l'instant, les comètes, les satellites, les satellites de satellites, et autres astéroïdes, pullulent dans l'espace. Pour le menu fretin des cailloux de toutes dimensions , une identification par lettres et numéros suffit , mais, pour nos familières voisines les planètes telluriques du système solaire: Mercure, Vénus et Mars, un peu de poésie est de tradition. L'humanité a si longtemps fantasmé à leur sujet! Uranie, préposée à l'Astronomie, n'est-elle pas autant une muse que ses sœurs ?          

          Tous les trois ans, une Assemblée Générale de cette UAI se réunit dans un pays différent et les noms retenus par les Works Groups y sont présentés à l'approbation générale. C'est seulement à partir de cette approbation que le baptême devient officiel et définitif pour les siècles et les millénaires à venir. Une charmante dame, qui s'appelle Jenny Blue, met tout cela en ordre à Flagstaff (Arizona), et il est possible d'en consulter les différentes listes à l'Union Astronomique des pays membres de l'UAI ainsi que sur Internet, pour ceux qui sont équipés et y comprennent quelque chose.

          Pour Jeannette Power, née Villepreux, 1991 et 1994, les deux dernières années d'Assemblée Générale étant passées, il fallait essayer de ne pas rater 1997 sous peine d'avoir à attendre l'an 2.000 pour tenter à nouveau sa chance. Puis 2003, 2006, etc.

          C'est ce qui a failli arriver.

          Pour forcer un peu la chance (et la main), un argument pouvait être mis en avant: le travail de nomenclature fait à ce jour pour Vénus et pour les autres planètes ressemblait en effet à une vaste plaisanterie(2) comme on va le voir, et toute publicité à ce sujet n'était pas trop désirée. Les belles règles énumérées au début de cet article étaient bien souvent malmenées. Les astronomes aiment à passer pour des gens sérieux, mais, comme l'a finalement écrit le Président norvégien actuellement en exercice du Work Group Vénus , le Dr Kaare Aksnes, " J'admets que nous pouvons n'avoir pas toujours été assez sélectifs en choisissant des femmes pour Vénus dans le passé"(3).

          Il était évident en effet que l'appel médiatique au peuple de 1991 n'avait pas servi à grand chose. La totalité des noms définitivement retenus pour les cratères, jusqu'à l'Assemblée Générale de 1994, pouvait être trouvée dans les pages des noms propres du moindre dictionnaire. Deux heures de travail au plus avaient dû suffire au préposé pour écrire sur la liste les noms des femmes françaises dont le nom est dans les mémoires pour une raison ou pour une autre. On avait le droit d'en déduire qu'aucun des dossiers de proposition de noms inconnus fournis de l'extérieur avait été consulté, et donc été utilisé . Les naïfs qui avaient passé‚ leur temps et dépensé leur argent pour créer les dossiers demandés en 1991 pouvaient se considérer comme les ... déçus de l'affaire. Leurs documentations, paraît-il, avaient été placées dans une liste d'attente pour être utilisées plus tard ... éventuellement.  

          Le contingent attribué à la France étant de 46 noms(4), qu'y trouvait-on?

          Pour les cratères de moins de 20km de diamètre, il fallait seulement des prénoms de femmes. Ce sont les Aimées, Bernadettes, Carolines, Giselles, Jacquelines, Jeannes, Madeleines, Maries, Michelles, Nadines, Nicoles, Simones, Valéries, Yvettes et Yvonnes qui ont eu cet honneur. Plus curieusement, on trouve les Orlettes et Ulriques, ces deux derniers prénoms étant qualifiés, comme les autres, de "French first names". Seul l'auteur de la liste pourra nous dire où il a trouvé ces raretés. A moins que pour Orlette ce soit une faute de frappe.

          Pour les cratères d'impacts de plus de 20km de diamètre, c'était des noms de femmes notoires qui devaient être proposés.        

          En plus de Sarah Bernhardt on trouve donc sur la liste : mesdames Boivin, Nadia Boulanger, Cotton, de Beausoleil, de Beauvoir, de Lalande, de Staël, du Chatelet, Fouquet, Judith Gautier, Sophie Germain, Héloïse, Joliot-Curie, Lafayette, Lachapelle, Marie Laurencin, Mirabeau, Morisot, Nin, Récamier, Rosa Bonheur, Sévigné (sans la particule), Valadon, Vigier (sic), Lebrun , Simone Weil (une philosophe), avec en supplément mesdames Yvette Guilbert et Edith Piaf.

          Après tant de spécialistes de la plume et du pinceau, deux chanteuses populaires!

          En fait d'hommage au génie et à l'intelligence des femmes française, on n'avait trouvé rien de mieux!

          C'est peut-être pour démontrer que du "Fiacre" à "L'homme à la moto"(5), les techniques de la locomotion ont fait un certain progrès . Des femmes de science? Quel intérêt? On n'aurait pas été plus négatifs en mettant sur la liste Philaminte, Bélise et Armande, les femmes savantes (et ridiculisées) de ce cher Molière.

          La totalité des cratères des deux premières catégories de superstructures étant déjà pourvue de marraines agréées, la situation semblait bouchée définitivement pour la petite Corrézienne. Il restait heureusement les très grands cratères, volcaniques ceux-là .

           En effet, sur Vénus il n'y a pas que des cratères d'impacts. Il y a aussi d'immenses cratères volcaniques à parois irrégulières que l'on qualifie de "patera", une catégorie fourre-tout, pour leur vague ressemblance avec les patères de l'Antiquité qui étaient, nous dit Larousse, "des coupes évasées et peu profondes, sans pied ou presque, qui servaient soit pour boire, soit pour verser des libations (C'était l'attribut d'Hygie, déesse de la santé)". Ces structures gigantesques devaient aussi recevoir des noms de femmes. Cinquante seulement d'entre elles avaient reçu un nom en 1997 contre six cent soixante-dix-sept pour les deux premières catégories. La France y était représentée par Colette, Georges Sand et Jeanne Ledoux , cette dernière étant qualifiée sans plus de précisions "d'artiste française" (6). Si l'on excepte la quatrième dame française, qui n'est autre que Charlotte Corday, la spécialiste du lancer de couteau dans les baignoires (62°7N, 40°E), le quartier(7) n'était pas trop mal fréquenté!

          Les patera étaient donc la dernière chance.

          C'est à l'Assemblée Générale qui s'est réunie à Kyoto (Japon) du 18 au 30 août dernier que les choses se sont réglées. Un message du Président avait annoncé le 29 mai: "Si les membres du WGPSN peuvent agréer son nom pour un patera, il est bien possible que le nom puisse être approuvé pendant l'Assemblée Générale de Kyoto en août"(8).

          Le 20 août, le WGPSN a délibéré et le 4 septembre, le message suivant est enfin arrivé à Juillac:

          " Oui, le nom Villepreux-Power a été assigné à un patera sur Vénus. Les coordonnées (vénusiennes) sont 22° Sud et 210° Est, et le diamètre de l'ensemble est d'environ 100 km"(8).

          Si l'on applique la bonne vieille formule de la surface du cercle(9), on arrive pour un rayon de 50km à une surface de 7.850 km², la Corrèze tout entière ne couvrant que 5.857 km².

          Au prix actuel de l'hectare en Corrèze, le patera "Villepreux-Power" n'est pas une si mauvaise acquisition. Les pauvres volcans d'Auvergne sont loin de faire le poids!

          En donnant le nom de "Villepreux-Power" au patera en question, on peut remarquer que les membres du WGPSN ont été très aimables pour la France. En effet, "Power-Villepreux", ou tout simplement "Power", (puisque des noms courts étaient désirés), aurait été plus logique que l'inverse "Villepreux-Power". Toute l' œuvre de la naturaliste a été signée logiquement "Jeannette Power, née Villepreux". Sur le même principe Marie Curie aurait dû être "Marie Sklodowska-Curie" et non pas la Marie Curie que le Monde nous envie. Mais ne nous plaignons pas parce que la naturaliste est trop belle!

          Les femmes sont-elles enfin à l'honneur et les égales des hommes?  

          Ce n'est pas évident.

          Il sera amusant, plus tard, de se rappeler que le collège mixte inter cantonal de Lubersac, qui reçoit pourtant des élèves de Juillac, a refusé en 1995 ce "nom d'une personne originaire d'un canton voisin dont le nom marital est d'origine étrangère" (9).

          D'origine étrangère, certes, quoique Power vienne du normand Poer; mais il n'y aurait pas eu de naturaliste corrézienne célébrée par l'Union Astronomique Internationale sans James Power, ce brave Anglais de mari (d'origine irlandaise) chez qui on a retrouvé après son décès une statuette ... de Napoléon.

          Désormais Vénus n'est plus pour les Corréziens une planète comme les autres. Une petite bergère de chez eux a rejoint son "Etoile" .

                                                                                            Claude Arnal

                                                                                     Juillac , septembre 1997     

                      

                                                     NOTES

1) Bulletins des années 1994 (p.178-189); 1995 (p.30-46); et 1996 (p.111-117).             

(2) Voir dans "Ciel et Espace" de juillet dernier l'article d'Alain Cirou "Au nom de Vénus"

(3) "I will admit that we may not always have been selective enough in choosing women for Venus in the past" (9 mai 1997).

(4) L'URSS et les USA, ayant effectué la totalité‚ des relevés par satellites, se sont réservées la part du lion. On trouve sur Vénus pour l'URSS: 92 noms, pour les USA: 90, pour la Grande-Bretagne: 57, pour la Grèce: 42, pour les Hébreux: 31, pour le Japon: 12, etc.

(5) Yvette Guilbert a été célèbre pour sa chanson "Le fiacre" et Edith Piaf pour "L'homme à la moto".

(6) dite: "Jeanne (?) ; French artist (1767-1840) . Elle ne figure ni dans les Larousses ni dans le Quid.

(7) Comme la Lune, Vénus a des quartiers.

(8) Traduction de l'Anglais.

(9) pi.r²

(10)La Vie Corrézienne".

(11)Une coïncidence curieuse mérite d'être mentionnée. Si l'on applique les coordonnées vénusiennes, 22°S et 210°E, sur notre globe (les deux méridiens "0" étant bien sûr arbitraires et 210°E correspondant à 150°W), le patera "Villepreux-Power" serait situé à 1° près, sur l'emplacement de l'île Tubuaï II, en Polynésie française (23°S et 150°W ).

Acte de naissance du Villepreux-Power patera :

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From : Jenny Blue (GD. Flagstaff) (520) 556-7245

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To:Claude Arnal<Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Cc:Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.@flagmail.wr.usgs.gov

Suject: Re: Jeannette Power

Date; Thus. 04 Sep 97 07:42:09-O700

X-Mts:smtp

Dear Mr.Arnal,

Yes, the name Villepreux-Power was assigned to a patera on Venus.

The coordinates are 22.0S, 210.0E , and the diameter of the feature is about 100 km.

Jennifer Blue .