Congrès de Messine 2010. James et Jeannette Power à Messine (1818-1843)

 

 

 

D’après

IL NATURALISTA SICILIANO

Volume XXXVI, N° 2 (2012)

 

(pages 225 à 238)

ELIANA FERRARA

Traduction : Arlette Anglade

JAMES ET JEANNETTE POWER A MESSINE (1818-1843)

 

- James et Jeannette

         Le 4 mars 1818 à Messine, dans l’église de S. Luca, deux jeunes étrangers se marient : l’épouse était Jeannette Villepreux, une jeune fille française de 24 ans, et l’époux était James Power, un jeune irlandais plus âgé de 3 ans. Pour Jeannette et pour James cette cérémonie nuptiale était le premier pas vers un long parcours de vie commune qui devait durer plus de 50 ans, la première moitié de ce temps s’écoula à Messine.

         Selon les sources orales reprises dans quelques publications de la fin du 19ème siècle, la première rencontre entre Jeannette Villepreux et James Power aurait eu lieu à Paris certainement autour du 17 juin 1816, le jour où, dans la cathédrale Notre Dame, furent célébrées les noces entre la princesse Maria Carolina de Bourbon, nièce du roi Ferdinando I des Deux-Siciles, avec Carlo Ferdinando de Bourbon, duc de Berry et neveu du roi de France Louis XVIII. C’est à l’occasion de ces noces princières qu’aurait été confiée la charge de réaliser dentelles et broderies pour la tenue de la mariée, future duchesse de Berry, à Jeanne Villepreux qui travaillait dans un atelier de haute couture, tandis que James Power était justement ces jours-là dans la capitale française, peut-être pour son travail ou pour un autre motif. Selon ‟la légende familiale″ James était resté sidéré par la beauté des broderies des vêtements de mariée de la princesse et avait voulu connaitre la brodeuse. Ainsi l’habit de l’épouse princière avec ses broderies avait contribué en 1816 à la première rencontre fatidique entre Jeannette Villepreux et James Power. En tout cas, leur rencontre se transforma en un solide lien avec le mariage célébré, deux années plus tard, à Messine.

         A partir de 1818, la ville du détroit, avec son port, devint en moins d’un quart de siècle la base des activités économiques de James Power et des recherches scientifiques de Jeannette Villepreux. De par ces aspects, les Power se distinguaient notablement dans le contexte citadin ainsi que dans le circuit des nombreuses communautés étrangères résidant à Messine autour du 18ème siècle (1783-1908). James et Jeannette s’insèrent dans la réalité économique, sociale, culturelle et scientifique de la ville dans laquelle ils pourront réaliser leurs projets respectifs : lui, s’impliquait dans l’activité économique jusqu’à atteindre une position de premier plan, tandis qu’elle découvrait et affinait sa propre inclinaison pour l’observation scientifique sur les rives du détroit jusqu’à résoudre la question sur l’Argonaute argo et à inventer les modernes aquariums.

         La présence et les activités de James et Jeannette Power dans la ville du détroit, qui sont au centre de mes recherches pour la thèse en sciences politiques, m’ont amenée à reconstruire une histoire par beaucoup fascinante et riche de mille péripéties, soit sur le plan personnel, soit sur le plan professionnel. Aujourd’hui, pourtant, une dizaine d’année après ma thèse, je voudrais mettre en avant, pas tant l’aspect et l’œuvre de Jeannette, qui ces dernières années est finalement ‟revenue dans la lumière”, que plutôt l’activité marchande et d’entreprise de James Power et, par-dessus tout, le rôle important qu’il a eu aussi en soutenant et encourageant la formation scientifique de sa femme. Cette nouvelle et autre clé de lecture naquit d’une question que je me suis posée à partir du moment où j’ai repris postérieurement les pages de mon travail de recherche sur Jeannette Villepreux Power. Comment Jeannette Villepreux a-t-elle fait pour devenir ‟pionnière” sur les rives du détroit, et devenir une illustre scientifique ‟reine de l’océanographie”, sociétaire des académies les plus cotées du monde, laissant une production scientifique respectable et fruit de tant d’études ? Comment a-t-elle fait pour visiter plusieurs fois et seule, la Sicile de long en large (‟per ogni banda”) et affronter les dépenses et les difficultés de ces voyages ? En inventant une nouvelle expression, on pourrait dire que, dans ce cas, derrière cette ‟grande dame” il y a eu ‟un grand homme”. Ainsi, s’il y a quelque temps, je me suis concentré sur la figure de Jeannette et sur son extraordinaire histoire, je pense aujourd’hui qu’il serait bon de donner le vrai tribut aussi à James pour mettre en relief ce que ce ‟grand homme” a fait pour sa femme durant leur période de vie à Messine. Mais qui était James Power ?

 

- James Power (1791-1872) 

         Né le 28 février 1791 dans une famille irlandaise de noble origine, James Power avait passé ses premières années de vie aux Caraïbes. A la fin du 18ème siècle, en fait, ses parents, Morris Lucas Power et Anne Cuffe, s’étaient transférés de leur native Irlande dans une parmi les plus petites îles des Antilles, La Dominique, qui avait été cédée par la France à la Grande Bretagne à la fin de la guerre de sept ans (1756-1763).

         On ne connait pas les motifs qui conduisirent ses parents à s’expatrier de l’autre côté de l’Atlantique : peut-être les problèmes financier et/ou la difficile réalité politique et économique dans l’Irlande étaient-ils à la base de leur décision de partir à la recherche d’une perspective plus sûre et moins précaire. Une fois établis aux Antilles, les Power atteignirent probablement cette sérénité recherchée depuis toujours et ce fut là que naquit en 1791 James.

         A Roseau, la capitale dominicaine où il passe sa petite enfance, James perçoit sûrement le typique mélange entre cultures, langues et populations diverses, si bien qu’à cette réalité particulière de l’île, alors peuplée par les européens, amérindiens et créoles, pourrait bien être attribuée sa connaissance de plusieurs langues, comme l’anglais, le français et l’espagnol.

         Après la mort subite de son père et le remariage de sa mère avec James Mac Coy, au début du 18ème siècle, le jeune James Power décide de quitter les Antilles pour chercher à se créer un futur ailleurs, parcourant la route inverse de celle de son père qui, en son temps, était parti de l’Irlande vers les Antilles. Probablement le premier but de James fut l’Angleterre, mais celle-ci fut seulement une étape vers celle qui deviendra sa résidence définitive, la Sicile, une des rares zones européennes non occupée par Napoléon, mais qui au moins depuis une décennie était sous protection anglaise.

         Durant la décennie 1806-1815, en particulier, la Sicile était protégée par plus de 20 000 soldats anglais arrivés pour la défendre d’une invasion redoutée de Napoléon et pour rechercher à reconquérir pour les alliés bourbons le règne de Naples occupé par les français. Dans la période des guerres napoléoniennes, l’île méditerranéenne avait représenté, avec Malte, une base militaire essentielle pour la Grande Bretagne et aussi un important marché alternatif pour beaucoup de marchands anglais pénalisés par les effets négatifs du ‟Blocus Continental” par lequel Napoléon, depuis 1806, avait fermé au commerce britannique les marchés de l’Europe continentale. Dans la ‟décennie anglaise” 1806-1815, en même temps que les militaires de la Royal Navy et de la British Army, de nombreux marchands sont eux aussi arrivés, rejetés des ports européens par le ‟Blocus Continental” ; ils étaient à la recherche de nouveaux marchés. Dans cette décennie, entre Sicile et Grande Bretagne alliées dans la lutte contre Napoléon, un important échange s’est développé, basé sur les exportations anglaises de produits industriels de genre coloniaux et sur les exportations siciliennes de matières premières et de productions agricoles (huile, agrumes, soie grège, soufre, etc…)

         Ce commerce avait été engagé et géré par la dense communauté marchande installée durant la ‟décennie anglaise”. Avant 1806 la présence anglaise était limitée à une demi-douzaine de marchands résidents à Messine et à Palerme, tandis qu’entre 1806 et 1815 au moins 40 entreprises commerciales se sont établies à Messine et environ 20 à Palerme. Le nombre de marchands anglais était destiné à augmenter dans les décennies suivantes. Après 1815, de fait, ‟les nouvelles perspectives de paix avaient amené de nouveaux compatriotes à venir ici pour entamer de nouveaux commerces et de nouvelles entreprises dans un réseau d’échanges déjà consolidé dans l’ère napoléonienne” : ainsi, aux commerçants arrivés dans la ‟décennie anglaise” s’ajoutèrent ceux arrivés d’Angleterre dans les décennies suivantes : en fait ‟même lors de la conjoncture critique de la Restauration il subsistera encore de bonnes opportunités pour l’installation des autres marchands anglais”.

         Dans les documents disponibles il n’est pas dit si James Power était déjà arrivé dans la ‟décennie anglaise” 1806-18015, peut être utilisée par d’autres marchands, ou juste après la Restauration comme propriétaire de son entreprise. En tout cas il entreprit là une florissante activité commerciale à tel point d’être vite considéré comme un des plus importants marchands anglais dans la ville. Ses activités documentées sur plus d’une vingtaine d’années à partir de 1818, touchaient non seulement le secteur commercial, mais aussi les secteurs financiers et d’entreprises, c’est-à-dire tous les secteurs dans lesquels étaient actifs certains parmi les principaux marchands anglais, comme les Aveline, les Cailler, les Fisher, les Oates, les Peirce, les Sanderson, etc… qui au cours du siècle ont donné naissance à de véritables dynasties de marchands, d’entrepreneurs et de financiers.

 

- Entre activités commerciales, financières et d’entreprises 

         Il est certain que dès le début de son installation, comme en témoignent des documents siciliens de sources anglaises, James Power a été inséré dans les circuits commerciaux dirigeant le mouvement maritime du port franc de Messine. Le 1er octobre 1818, par exemple, le ‟négociant anglais” James Power, en qualité de ‟commissionnaire” de l’entreprise ‟Giorgio Wood & C.” de Palerme, engageait un contrat de fret avec le capitaine Giovan Battista Perosio, ‟entrepreneur russe”, pour un trajet de la Sicile vers le Portugal : le capitaine devait aller avec la brigantine Spafsania de Messine à Terranova (aujourd’hui Gela) et à Licata pour charger ‟des espèces comestibles” à amener à Lisbonne. Déjà à cette époque, cependant, James Power était en rapport d’affaires avec d’autres marchands anglais résidents en Sicile ; ainsi donc, il était présent dans le commerce international traversant les routes qui, dans le port de Messine reliaient les diverses zones de productions siciliennes et calabraises avec les ports et les marchés extérieurs.

         A ces activités commerciales, dès les premières années de sa résidence à Messine, James Power s’adjoint aussi les investissements financiers. Déjà en 1819 il participait, avec la souscription de 2 actions (pour une valeur complète de 500 onze)* à la constitution d’une société d’assurances maritimes dénommée Banco di Assicurazioni : il était, de fait, un des 27 associés qui, le 22 octobre 1819 créèrent la société commanditée par un capital de 18 000 onze, subdivisé en 72 actions de 250 onze chacune. La participation à la Banco di

*Note d’Arlette Anglade :

500 onze = 500 onces siciliennes. C’est une ancienne monnaie qui avait cours en Sicile à l’époque du ‟Règne des Deux-Siciles” donc en 1819 lorsque James achète des actions.

Assicurazioni peut être considérée comme la preuve du succès que le marchand anglais commençait à rencontrer dans ses activités commerciales au point de pouvoir investir une part des bénéfices dans la souscription d’actions comme aussi dans d’autres opérations financières. Les investissements de James Power dans le secteur financier ne se limitaient pas, en fait, à la société d’assurances, mais ils comportaient aussi l’acquisition de titres de la dette publique du Règne des Deux-Siciles, comme l’indique un document de 1823.

         Au milieu des années 20, James Power était actif dans le commerce messinois avec la ‟James Power & C.″ avec un associé (pour lequel le nom n’est pas donné) : déjà, en 1825-26, quelques sources anglaises et siciliennes citaient la ‟James Power & C.” parmi les quelques 30 entrepreneurs étrangers travaillant en ville (ces anglais étaient plus de 20, tandis que les allemands, français, belges et étatsuniens étaient ensemble moins d’une dizaine).

         D’une façon générale, dans ces mêmes années, à Messine, l’activité commerciale de James Power, comme celle de beaucoup d’autres marchands étrangers, s’inscrivait dans un circuit dynamique basé sur l’exportation de produits locaux destinés aux marchés plus lointains et sur l’importation de produits extérieurs qui étaient ensuite redistribués sur les marchés voisins : en fait, le commerce d’importation se décomposait en celui pour la consommation et la circulation par terre et celui pour la consommation et la circulation par mer pour les domaines insulaires et pour les domaines continentaux.

         Les sources anglaises attestent aussi des rapports commerciaux que James Power maintenait avec les marchés extérieurs et précisent aussi quelques détails sur les marchandises qui étaient l’objet de son commerce. Dans un mémoire du 20 mai 1825, qui traite de problèmes relatifs à l’exportation d’huile de Sicile, il est évident que James Power aussi, comme les autres commerçants actifs dans ‟les affaires générales″, était très inséré dans l’intense activité d’échanges avec l’extérieur et surtout avec l’Angleterre. A l’intérieur de ce système, James Power, comme beaucoup d’autres marchands anglais, ne s’occupait pas seulement du commerce d’exportations de produits siciliens, mais aussi du commerce d’importations de marchandises anglaises dans une période au cours de laquelle le mouvement commercial entre Grande Bretagne et Règne des Deux-Siciles ‟montrait une tendance graduelle de progrès jusqu’à fin 1840 et une phase de rapide expansion dans les décennies suivantes″. En 1827, par exemple, parmi les marchandises que James Power importait d’Angleterre, il y avait aussi ‟18 barils de couleurs (colorants) manufacturés″ et ‟une petite caisse de savonnettes dures″ qui avaient été embarqués en Angleterre sur la brigantine Preceptor du capitaine James Leigh pour être livrés en même temps que d’autres produits de l’industrie anglaise, à de nombreux marchands étrangers de Messine.

         Son activité commerciale n’avait pas toujours des résultats positifs, comme on peut le déduire de cette controverse, qui s’est terminée avec un jugement défavorable du Tribunal de Commerce de Messine. En 1820, par exemple, dans une controverse relative au paiement d’une lettre de change, James Power fut condamné à payer une partie de sa dette. Ne manquaient pas, en outre, les problèmes avec la douane, plus fréquents aussi à cause des ‟réglementations pesantes″ et de ‟la législation des douanes générales qui avait modifié le vieil équilibre, non seulement entre l’île et le continent mais avec le commerce extérieur″ au début de la Restauration. En 1825, avec d’autres marchands étrangers, James était engagé dans une controverse judiciaire pour un paiement demandé par le Directeur des fonctions pour l’expédition d’huile vers l’étranger. L’année suivante aussi il était engagé avec ses collègues, dans une autre controverse avec la douane de Messine.

 

- La fabrique d’acide sulfurique

         Cependant, à la fin des années 20, avec l’entrée dans la société de James Robinson Unett, un marchand résidant à Liverpool, la ‟Power & C.″ changea de nom et devint officiellement la ‟Power & Unett″. Depuis 1827 et pour environ une décennie, en fait, James Power était défini dans les documents ‟négociant, domicilié à Messine, rue Ferdinanda, représentant sa région dans le commerce Power & Unett.″ L’activité commerciale de la ‟Power& Unett″ confortait son réseau d’affaires avec d’autres marchands soit en Sicile (en 1834, par exemple, il représentait l’entreprise ‟Panaiotti Palli″ de Livourne, dans une controverse avec les marchands messinois), soit en Angleterre (en 1837 il honora les créances dans les revendications de William Maybury, un marchand de Manchester résidant à Trieste). A cette même période, à Messine, James Power était actif non seulement dans le commerce maritime mais il entretenait aussi une activité d’entreprise importante. Depuis la moitié des années 30, en fait, la‟Power & Unett″ commençait à produire avec de nouveaux systèmes, acide sulfurique, acide tartrique et crème de tartre et demandait au gouvernement des Bourbons la concession ‟exclusive″, c’est-à-dire un brevet de monopole, pour ‟fabriquer″ ces produits en utilisant des ‟tubes à vapeur″. Avec le décret du 25 août 1838 Ferdinando II de Bourbon concédait à la ‟Power & Unett″ pour 5 ans le ‟monopole″ pour produire acide tartrique et sulfate de fer avec l’usage innovant de ‟tubes à vapeur″ en remplacement de ‟l’ancienne façon de travailler les substances avec le feu″.

         En 1838, cependant, à l’époque de la publication du décret royal de ‟monopole″, la ‟Poward & Unett″ s’était déjà dissoute d’un commun accord entre les deux associés et l’usine avait déjà stoppé son activité. Le 31 août 1837 James Power, en fait, communiquait au tribunal de commerce la décision, prise d’un commun accord avec son associé James Robinson Unett, de dissoudre la société et de partir de la Sicile. Les motifs de cette décision ne sont pas notés, même si ne sont pas à exclure des raisons liées à une ‟grave maladie″ du même James. Dans une lettre à Richard Owen, de fait, en février 1838, Jeannette Villepreux expliquait les raisons de son retour en Sicile après un séjour avec son mari à Londres : ‟La cause de mon retour a été une grave maladie contractée par mon mari, pour la guérison de laquelle les médecins n’ont pas découvert d’autre remède que de le renvoyer en Sicile.″

         Il est certain, cependant, que l’usine a été bien achalandée et était en activité au moins jusqu’au début de 1838 à tel point d’être citée dans sa ‟Mémoria economica″ (1838) par Alessio Scigliani pour les nouveautés introduites dans la production de l’acide sulfurique (‟Dans l’usine de messieurs Power et Unett à Messine [….] on faisait l’acide sulfurique à la perfection comparé à celui de n’importe quel pays concentré aux 66 degrés Baumé, ceci avec une méthode nouvelle sans l’aide de verre coudé, neutralisant le dit acide par la chambre de plomb jusqu’aux degrés 36 à 40, sans que les gaz n’amènent des dommages aux citronniers, oliviers, etc. lesquels en étaient entourés″) et dans la production de la crème de tartre (‟l’économie que monsieur Power, fabricant de cet article, réalisait à Messine était très grande. Et lui, s’étant assuré que l’écume rouge rend au moins 1/4 à 1/5 de crème de tartre brune, tandis que le tartre rouge n’en rend pas plus d’1/3, et qu’il y a une très grande différence entre le prix de l’une et de l’autre, parce que la première se vend de 10 tari à 14 tari le quintal, quand le tartre rouge vaut entre 3.10 et 3.20 l’once, il retira la 1ère solution d’autant plus que celle-ci est plus difficile à transporter″), de même dans l’usage des combustibles (‟Une très grosse économie est aussi obtenue en utilisant des combustibles mettant à profit les résidus de la sciurcidda dont les tanneurs font usage (écorce interne du liège), les débris minuscules de charbon fossile et végétal, et le résidu des lies de vin après avoir ôté la crème″).

         Dans les années 30, pendant que Jeannette Villepreux réalisait ses plus importantes inventions et découvertes scientifiques dans le domaine de la biologie marine, à son tour James Power utilisait des innovations autant significatives dans les valorisations et dans les productions de toutes les ressources naturelles de la Sicile. Les méthodes de l’observation systématique, de l’expérimentation pratique et de l’innovation scientifique étaient un terrain commun pour James et pour Jeannette dans leurs activités respectives. Peut-être est-ce aussi grâce à cette communauté d’intérêts, avec en outre son extraordinaire ouverture d’esprit que James aida Jeannette au cours de ses études et plus encore de ses voyages à la ‟découverte” des ressources artistiques et naturelles de la Sicile.

 

- James Power : ‟Caractère très doux” et ‟manières très aimables”

         En 1837 James et Jeannette décidèrent de quitter Messine. Leur départ s’explique sûrement avec la dissolution de la société ‟Power & Unett” le 31 août de cette année. En prévision du déménagement, les Power déposèrent dans ‟16 caisses fermées et clouées” les divers ‟objets” de leur propriété décrits dans ‟une note” du 28 septembre 1837. Deux mois plus tard, le 24 novembre, par une lettre écrite depuis Londres James Power demandait à la Matthey Oates & C. de lui envoyer au plus vite ‟toutes les affaires laissées par madame Power dans les mains de Monsieur Matthey”. Ainsi, quelques semaines après, la Matthey Oates & C. fit embarquer pour Londres, sur la brigantine Bramley du capitaine John Brown, les ‟16 caisses contenant livres, linge de table, biens d’usage, coquillages fossiles, trois morceaux de marbre, un monétaire et une antique colonne d’agate”. La brigantine, cependant, n’arriva jamais à destination car elle fit naufrage sur les côtes de la Bretagne, faisant disparaître aussi ‟le trésor de Jeannette” et, pire, une partie de ses collections. Ainsi, ‟ses collections scientifiques ou une partie importante de celles-ci, fruit de tant de fatigue personnelle et en même temps une des plus riches sources d’approvisionnement de certaines collections de musées de l’Europe entière, expédiées depuis Messine vers l’Angleterre, disparurent par enchantement, englouties par les flots, dans un naufrage, survenu peut-être dans cette mer qui avait tant contribué à les constituer”.

         Cependant, au début de 1838 les Power décidèrent de ‟retourner en Sicile” surtout pour passer une période de convalescence après la ‟grave maladie″ de James déjà évoquée. A Messine Jeannette reprit ses recherches, publiant aussi l’Itinéraire de Sicile et le Guide pour la Sicile, bien qu’il ne semble pas que James ait repris sa précédente activité. Dans les années suivantes, les Power alternèrent avec la résidence à Messine quelques périodes de séjour à Naples et à Londres jusqu’au définitif déménagement à Paris où à partir de 1852 James était agent de la ‟Compagnie du télégraphe sous-marin entre la France et l’Angleterre ″ et secrétaire de la ‟ Compagnie du télégraphe électrique Mediterranéen″. A Paris, les Power vivront 25 ans et ce fut en cette période que, pendant que James s’affirmait dans la nouvelle activité, Jeannette s’effaça en tant que scientifique, observatrice attentive des phénomènes naturels et reine de l’océanographie : à sa place, succéda une autre Jeannette, dont le rôle principal, sinon unique, fut alors celui d’épouse, de femme occupée à gérer les affaires de la maison et vaquer aux choses du quotidien, laissant ses études et ses recherches. Comme l’a écrit Claude Arnal, ‟ Etablie à Paris, la naturaliste ne semble plus avoir eu des activités scientifiques particulières, si ce n’est la publication de ses travaux antérieurs au 1856-60″. Ses intérêts semblèrent changer tout d’un coup et petit à petit la Jeannette naturaliste fut oubliée. En tout cas le départ de Messine signa la fin de ses expérimentations.

          Jeannette mourut à l’âge de 76 ans*, le 25 janvier 1871 dans sa natale Juillac, où elle s’était réfugiée quand la guerre franco-prussienne avait rendu difficile la vie à Paris. Un an après, le 9 janvier 1872, disparut aussi James, mort à Paris dans la maison du 58 rue de l’Université où il avait parcouru, avec son épouse les dernières années de leur longue vie commune. S’éteint ainsi un couple extraordinaire qui avait vécu en symbiose depuis le lointain jour de 1818 où leur mariage avait été célébré.

          Grâce à cette symbiose des 25 ans de résidence à Messine, Jeannette Villepreux devint une chercheuse en sciences naturelles et une scientifique de premier rang grâce à ses talents personnels et grâce aussi au soutien moral et financier de son mari. A sa femme, James donna sûrement son appui du point de vue humain en une période dans laquelle les femmes avaient encore un poids social limité et étaient laissées en marge des études scientifiques : avoir à ses côtés un mari qui lui permettait de suivre ses inclinations et ses passions a indubitablement permis à Jeannette de se plonger dans ses recherches sans problèmes. A son épouse, qui n’avait sûrement pas de ressources personnelles d’aucune sorte, James garantissait un soutien financier pour ses recherches et pour ses voyages, à une époque où voyager était excessivement onéreux. James, en outre, collabora à la divulgation des recherches de sa femme, traduisant en anglais quelques-uns de ses essais scientifiques, comme le rappelait la même Jeannette avec gratitude.

         En 1837, dans un article publié dans ‟Passetemps pour les dames″, en plus de citer Jeannette comme ‟un exemple pour servir de modèle aux mères de famille″, Alessio Scigliani avait aussi souligné les extraordinaires dons humains de son mari James, le définissant comme ‟un homme qui a la réputation d’avoir un caractère doux et des manières aimables auxquelles s’ajoute le grand mérite d’avoir secondé le génie de sa femme pour les sciences naturelles″.

         Autant James que Jeannette sont restés longtemps tombés dans l’oubli même et surtout à Messine, ville qui durant environ 25 ans fut le théâtre de leurs activités et de leurs découvertes, aussi la réimpression intégrale du guide pour la Sicile a fait resurgir cette extraordinaire figure de femme et de scientifique. Cependant, comme l’a écrit plus récemment Claude Arnal, ‟il serait injuste de clore l’éloge de cette femme exceptionnelle sans rappeler que tout cela aurait été impossible sans son compagnon de vie, un anglais, lui aussi exceptionnel, qui a eu le grand mérite de comprendre le génie de son épouse pour les sciences naturelles et de l’aimer suffisamment pour en supporter les conséquences. Merci James !″

*Jeanne mourut à 77 ans : 1794- 1871