Le Figaro - 5 mars 2009  La jeune fille au sourire

 

 

Reproduction du texte d'un article du journal Le Figaro

 

LA JEUNE FILLE AU SOURIRE

«La Dame de l'argonaute» de Claude DUNETON est l'histoire de Lili, belle âme et belle femme, qui traverse le XIXe siècle et l'éclaire. Une féerie réaliste.

Quelle fraîcheur a ce roman-là ! La fraîcheur de l'ingénuité quand elle favorise une intelligence du monde, celle de la curiosité tournée vers la connaissance, et celle des cœurs francs. Telle est d'ailleurs, parée de ces qualités naturelles, Lili Villepreux, l'héroïne dont Claude DUNETON, avec tendresse autant qu'érudition, nous raconte le destin d'exception. Et voilà une histoire qui nous comble du plaisir de voir récompensée une belle âme. Ce n'est pas que tout réussit à Lili, c'est qu'elle réussit tout. Aimable, jolie, intelligente, modeste, curieuse, sensible à la beauté, délicate envers les autres, de plus en plus cultivée, heureuse de vivre, la jeune fille met de la bonne grâce en tout. Il y a là du merveilleux et le lecteur en sort comme baba à double titre : admiratif de la belle personne et du bel ouvrage qui la peint.

La Dame de l'argonaute est le récit captivant de l'accomplissement personnel (intellectuel, humain et social) d'une jeune fille dont la vertu (c'est bien le mot) fait impression.

Elle naît en Corrèze en 1794, vient à Paris en 1812, traverse l'adversité avec droiture et saisit sa chance. Au milieu des souvenirs de la grande Terreur et dans la misère que provoquent les guerres napoléoniennes, elle déploie sa jeunesse et son talent. Sa réussite éclate à la Restauration : elle brode la robe de mariée de la duchesse de Berry.

La vie n'est pas courte

Mariée par amour à un riche négociant anglais (qui a goûté le vêtement comme une œuvre d'art), elle part vivre en Sicile où, réceptive et observatrice, elle renouvelle sa curiosité : adopte l'italien comme langue de cœur, devient naturaliste et se met à écrire. Après d'autres voyages, elle mourra en Corrèze quelques mois après Sedan. Successivement Lili Villepreux, puis Jeannette, puis Jeannette Power née de Villepreux, elle s'élève dans tous les mondes, celui des ouvrières, celui des artistes, le beau monde et le monde scientifique. Jeune paysanne, apprentie pauvre, main d'or dans une prestigieuse maison de couture, dessinatrice créative, épouse émancipée dans un mariage anglo-saxon, première femme océanographe, conceptrice de l'aquarium… le sourire vient aux lèvres en lisant son histoire : oh non, la vie n'est pas courte, la vie donne plusieurs vies, à cœur vaillant rien d'impossible…

Avec cela, l'auteur illumine la réalité qu'il décrit par le bonheur évident qu'il prend à la connaître. Bien des mouvements du monde nous sont montrés : événements culturels, transformations urbaines, odeurs de la ville et de la campagne, détails pratiques divertissants, disettes et météo, revirements politiques et conjurations (le résumé des Cent Jours est sublime), exécutions capitales, industries anciennes et métiers disparus, points de broderie, langage de la rue et manuel de politesse, calendrier des fêtes, droit du travail et de la famille. Notre passé se trouve ressuscité.

Roman passionnant et édifiant, voilà le travail d'un érudit qui n'oublie rien de ce qu'il sait mais nous le raconte avec tant d'art qu'il est encore plus romancier que savant. À cela s'ajoute l'originalité de son traitement, à la fois historique et romanesque : le livre s'embarque en roman autour de Lili et s'achève en travail sur les sources autour de Jeannette. Cela confère au récit une force de vérité peu commune.

Il neigeait à gros flocons sur Paris quand je lisais ce livre dont le titre gardait encore son mystère. Je pensais aux vers du poète : « Qu'il est doux d'écouter des histoires, Des histoires du temps passé (…). Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé. » Coïncidence que n'ignore sûrement pas Claude DUNETON : Alfred de Vigny était l'exact contemporain de Lili Villepreux.

La Dame de l'argonaute de Claude DUNETON Denoël, 500 p., 20 €.

Alice FERNEY     Le 5 Mars 2009